Artur Beterbiev : Une victoire complexe sur Dmitry Bivol
Après une attente interminable pour entendre ses réflexions, Artur Beterbiev a finalement livré un discours chargé de sens, rappelant que les mots d’un homme peu loquace peuvent avoir un poids énorme. Emballé par sa victoire, le boxeur russe semblait avoir baissé sa garde : ses inhibitions étaient levées et les cartes qu’il avait soigneusement cachées depuis une semaine ont été dévoilées. « Je n’ai pas bien boxé aujourd’hui », a-t-il commencé. « Je voulais plus de qualité. Je ne sais pas pourquoi. Je n’ai pas aimé ce combat. Mais je serai meilleur un jour. » Il a ensuite ajouté : « Bien sûr, c’était un combat difficile. Dmitry est aussi un champion du monde. Il a de bonnes compétences, meilleures que les miennes, mais aujourd’hui, Allah m’a choisi. »
Choisi ou non, la victoire de Beterbiev à Riyad, le 12 octobre, s’est finalement jouée à deux juges de ringside qui ont voté en sa faveur avec des scores de 115-113 et 116-112 après douze rounds face à Dmitry Bivol, un compatriote. Un troisième juge a attribué un match nul avec un score de 114-114.
Ces notes ont été attribuées en fonction de ce que les juges ont vu de Beterbiev dans le ring : ses mains actives et son agressivité. Cependant, malgré leur position, tous trois n’ont pas réussi à capturer le déroulement du combat ni le langage corporel de Beterbiev, qui racontait une autre histoire. Par exemple, lorsque son coin lui a déclaré entre la sixième et la septième reprise : « Tu n’es pas fatigué, Artur, personne ne peut te battre », cela aurait dû mettre en lumière leur inquiétude quant à sa performance. En effet, jusqu’à ce moment-là, Beterbiev avait peiné à faire impression sur Bivol, d’où son mécontentement. Il devait confronter non seulement la possibilité d’aller jusqu’au bout pour la première fois de sa carrière, mais aussi celle de la défaite. À travers dix rounds, il avait surtout poursuivi son adversaire plutôt que de lui infliger des dégâts, apparaissant plus humain que machine. Dans le septième round, après avoir encaissé un coup droit de Bivol, il a même esquissé un sourire, un signe de respect inattendu.
Après le combat, Beterbiev a continué sur cette lignée d’honnêteté qui défie son orgueil habituel. Si son dédain quant à sa performance est légitime, on peut logiquement se demander comment il a pu décrocher une victoire de ce calibre face à un Bivol qui semblait livrer le meilleur combat de sa vie. Les deux aspects semblent difficilement compatibles. Soit Beterbiev a gagné en étant exceptionnel, soit il a remporté le combat malgré une performance en déclin, ne respectant pas ses propres normes élevées. Cette dualité complique l’analyse de ce qui s’est passé lors de cette soirée.
Dès le début, Bivol, maintenant avec un palmarès de 23-1 (12), rayonnait de confort et de confiance. Intelligent dans ses déplacements, il a distribué des jabs ciblés, profitant de l’ambiance apaisante qui favorisait la concentration sur son plan de match. Le public étant davantage celui des boxeurs que des cogneurs, Bivol a su rester calme et concentré sur ses attaques, sans se laisser distraire.
À l’opposé, Beterbiev, ce boxeur à la puissance brutale, aurait peut-être bénéficié d’un peu plus de bruit. Un peu de chaos. Sans cela, il risquait d’être engourdi ou de prendre du retard. Bien qu’il soit connu pour son démarrage lent, cette excuse ne tenait pas longtemps au cours des trois premiers rounds. Son premier vrai coup est arrivé dans les dernières secondes du premier round, mais jusqu’alors, il avait été largement dominé par la rapidité et le mouvement de Bivol. Ce dernier ne lui a laissé aucun moment de répit, même dans le deuxième round, où il confirma son emprise en captivant l’attention de Beterbiev par des mouvements constants et des menaces de coups.
Le troisième round a vu un Bivol asséner un superbe un-deux, continuant à briller avec une variété impressionnante dans son offensive. Beterbiev s’est contenté de suivre, à quelques occasions lançant son droit, mais il en avait besoin d’un peu plus pour faire pencher la balance en sa faveur.
Au quatrième round, la situation a légèrement changé avec une volonté acccrue de Beterbiev de couper le ring. Ce regain d’activité a été manifeste au cinquième, où il a infligé un coup droit douloureux à Bivol. Néanmoins, Bivol, résolument combatif, a su riposter efficacement.
Les actions de Bivol, loin d’être de simples coups sporadiques, étaient destinées à marquer les rounds et à établir sa dominance. Au sixième round, malgré la pression de Beterbiev, et même s’il a dû travailler dur, Bivol a magnifiquement défendu tout en maintenant un rythme soutenu.
Lors des deux derniers rounds, la tension a augmenté. Le résultat, bien que disputé, était presque palpable : alors qu’en réalité, Beterbiev tentait désespérément de retrouver le fil du combat sans succès. Malgré une tentative frénétique au douzième round, où il avait besoin d’un knockout pour assurer la victoire, ce dernier punch n’a pas suffi.
Finalement, après le gong final, une question fondamentale a été posée à Beterbiev sur sa performance : « Avez-vous eu l’impression que votre puissance le ralentissait au fur et à mesure que le combat avançait ? » « Non, » a-t-il répondu, désormais avec un palmarès de 21-0 (20). Lorsqu’il a été questionné de savoir s’il pensait avoir fait suffisamment pour gagner le combat, il a répondu : « Oui, mais pour moi, c’est inconfortable parce que d’habitude je n’attends pas la cloche finale. Mais aujourd’hui j’ai eu de la chance aussi. »
Peut-être que cette victoire controversée a fait de Beterbiev un homme plus ouvert et affable. Passant d’un silence presque complet à des déclarations plus franches, il a illustré à quel point la perception d’un boxeur peut être influencée non seulement par le combat lui-même, mais par le besoin d’expression après l’épreuve. Dans tout cela, une interrogation demeure : la complexité de ses sentiments est-elle finalement une simple question d’interprétation, tout comme le combat ?