Assister à un match de boxe du rang n’est pas une expérience comparable à celle offerte par les retransmissions télévisées. Alors que les commentateurs décrivent les rounds, évaluent la force des coups et que les chiffres de statistiques de frappes s’affichent en temps réel, la vision que l’on a du ring peut sembler limitée. Cela permet cependant d’avoir une certaine compréhension du combat, parfois même enrichissante, mais on passe à côté de nombreux détails fascinants.
Ainsi, malgré ma grande consommation de combats via des plateformes de streaming et des extraits sur YouTube, je n’avais jamais eu l’occasion de m’installer au bord du ring jusqu’à ce week-end dernier, lors d’une soirée de boxe à Philadelphie. Cette immersion a véritablement transformé mon regard sur ce sport.
À première vue, les impacts des coups, particulièrement ceux qui font jaillir la sueur ou le sang de l’adversaire, nous frappent d’une manière différente. Du troisième rang au 2300 Arena de Philadelphie, chaque coup reçu semblait provoquer une mini pluie. Le premier combat de la soirée opposait Encarnacion Diaz à Bek Nurmaganbet, un cogneur redoutable. Le premier coup porté par Nurmaganbet, un droit dévastateur, fit vibrer non seulement le corps de Diaz, mais aussi tout le ring. La puissance de ses frappes était palpable, rendant visible la force colossale qu’elles possédaient.
Les réactions de Diaz, visibles du bord du ring, étaient bien plus explicites que celles perçues à travers l’écran. Entre clignements des yeux et secousses de la tête, mon collègue Ryan Songalia, qui assistait aussi au spectacle, a même évoqué une possible incapacité de Diaz à voir. Le combat s’acheva de manière fulgurante, une entrée brutale dans ma première expérience de soirée de boxe.
Une grande différence entre le visionnage de combats en direct et par diffusion réside dans la perception du temps. Si à la télévision, le compte à rebours de trois minutes est omniprésent, créant une pression palpable, dans l’arène, cette absence de montre transforme la durée des rounds. Soudain, chaque round semblait durer une éternité, rempli d’échanges intenses. Au moment où la cloche annonçait la fin, on avait l’impression que les boxeurs avaient couru un marathon.
Se déplacer autour du ring offrait aussi une immersion particulière. Lors du combat entre Dante Benjamin et Rodolfo Gomez Jnr, j’ai pu voir Gomez, le visage ensanglanté, regagner son coin après un quatrième round éprouvant. Le public, galvanisé par son courage malgré un nez sûrement fracturé, l’a couvert d’applaudissements. Les sentiments de la foule constituent un autre aspect souvent négligé lors de la vision à distance.
À distance, le public est juste une masse unie, criant pour encourager la violence ou pour exprimer leur mécontentement sans qu’on puisse distinguer un visage. En revanche, à Philadelphie, bien que la foule ne comptait qu’un peu plus de quelques centaines de personnes, sa soif de sang était palpable. Les encouragements “stop holding!” ont fusé lors des premiers combats, et lors du combat entre Mykquan Williams et Antonio Moran, les chants “Me-he-co!” s’élevaient si haut qu’il était difficile de ne pas y prêter attention.
Cela a même influencé le jugement, entraînant une décision controversée en faveur de Moran. Dans l’angle de Williams, Jackie Kallen, ancienne publiciste de Thomas Hearns et manager de nombreux boxeurs, était présente. Lorsque la décision fut annoncée, elle et Songalia échangèrent un regard amusé, une interaction qu’il aurait été impossible d’appréhender par l’écran, mais qui illustre la réticence face à ce verdict.
Contrairement aux retransmissions qui enchaînent les combats sans temps de pause, être présent à un match permet de vivre l’épilogue de chaque affrontement. Les boxeurs, après avoir tout donné, sont parfois à bout de souffle, la violence du combat s’estompe et laisse place à une humanité plus touchante. Les rivalités sur le ring se transforment souvent en gestes amicaux lorsqu’ils touchent leurs gants ou se prennent dans les bras après avoir regagné leur coin.
En d’autres instances, la frustration ou la colère des athlètes se fait entendre, comme dans le tennis où les joueurs réagissent souvent avec éclat face à la pression. Les pugilistes, eux, économisent leur énergie pour l’action et paraissent parfois fatigués, plutôt que furieux. Les combats sur cette carte de ProBox TV ont été marqués par l’intensité, mais jusqu’à la fin, les combattants ont montré une courtoisie désarmante.
Peut-être qu’il y avait une exception. Lors du premier combat, Nurmaganbet a frappé Diaz avec un énorme coup droit alors que ce dernier était déjà à genoux. À seulement trois mètres de mon poste, et malgré l’infraction, l’arbitre n’a pas réagi et a mis fin au combat peu après. Bien que cela n’ait pas changé l’issue du match – Diaz n’avait aucune chance – ce geste méritait une pénalité. Cette indignité flottait dans l’air sans commentaire, alors que l’attention se portait rapidement sur le combat suivant.