En 1998, un homme japonais, Tomoaki Hamatsu, connu sous le nom de Nasubi (qui signifie « aubergine »), fut enfermé dans un petit appartement, seul et nu. On lui avait fait croire que pour s’échapper, il devait participer à des concours par correspondance dans des magazines jusqu’à gagner 1 million de yens (environ 8 000 dollars). Une fois cet objectif atteint, les producteurs de l’émission de télé-réalité Susunu! Denpa Shonen l’auraient libéré, lui rendant ses vêtements et lui permettant de retrouver le monde dont il avait été arraché.
Pendant toute la durée de son « aventure », Nasubi ignorait totalement qu’il était filmé. Coupé du monde, sans contact humain, sans possibilité de protéger sa pudeur, il n’avait pour seule distraction que des magazines et des craquelins pour survivre, fournis pour éviter qu’il ne meure de faim. Chaque geste, chaque moment de détresse de Nasubi était diffusé en direct sur Nippon Television, atteignant 17 millions de téléspectateurs chaque dimanche soir.
Ce qu’il ignorait complètement, c’est qu’il ne s’agissait pas simplement d’un divertissement, mais d’une manipulation orchestrée par des producteurs, se déculpabilisant en se disant que c’était une expérience sociale bénéfique pour le public, observant en temps réel le délabrement psychologique d’un homme privé de tout contact humain et de besoins essentiels. L’attrait de l’émission dépassait l’entendement, intégrant l’élément de voyeurisme qui captait l’attention des téléspectateurs.
Aujourd’hui, cette émission est vue sous un jour différent. Avec des shows tels que Big Brother, il est devenu évident que l’exploitation des vulnérabilités humaines pour le divertissement n’est pas qu’une question de culture japonaise. Des émissions où des individus sont trompés à des fins de divertissement, ou où des moments « piégés » sont devenus des effets de mode, posent la question de la moralité derrière le spectacle.
En 2024, le défi est de taille : tromper les participants et les audiences de la même manière qu’autrefois est devenu ardu. Notre société se considère comme une puritaine du bon goût, délaissant les divertissements douteux d’autrefois au profit de contenus plus raffinés. Toutefois, la réalité est que le public est devenu moins sensible et moins choqué, ce qui pousse la télé-réalité contemporaine à se réinventer pour capter l’attention des internautes en scrollant.
Dans le monde de la boxe, ce phénomène se traduit par l’émergence de Jake Paul, plus producteur de télé-réalité que boxeur, qui exhume un Mike Tyson de 58 ans pour l’affronter sur Netflix. Ce spectacle regroupe tous les éléments d’un show à succès : des célébrités, du drame, un mélange de l’ancien et du nouveau célèbre qui garantit une large audience. Il suffit que ces stars cliquent sur leur téléphone pour s’assurer que l’attention du monde est focalisée, ce qui est tout ce qu’il faut pour lancer un projet de cette nature.
Il est ironique que le « dommage » ici soit déjà présent. On ne cherche pas à détruire Tyson en le faisant se battre, mais à minimiser ses blessures afin qu’il participe au match. À vrai dire, Tyson, tel un patient dans un établissement de soins, est cajolé à croire qu’il est encore un boxeur. “Oui, M. Tyson”, lui répètent-ils, “vous êtes toujours le plus redoutable des hommes sur cette planète.”
D’un autre côté, Jake Paul, qui vit dans une bulle de réalité virtuelle, se laisse également séduire par cette illusion, croyant être un boxeur menaçant, bien qu’il ait peu d’expérience sur un ring. Dans ce contexte, la carrière de Paul en boxing ressemble à un jeu de miroirs, entouré de flatteurs qui valident ses rêves démesurés, tout comme on le fait pour Tyson. Le 15 novembre, les deux hommes joueront un rôle, attirant des millions de spectateurs, y compris ceux qui promettent de s’en détourner. Ils vont s’enfiler des gants et agir comme de vrais boxeurs – l’un entravé par son âge, l’autre par son incompétence – tout en empochant une somme d’argent colossale. Devant ce spectacle, nous nous interrogerons : qui trompe qui ici ? Est-ce Tyson et Paul, convaincus qu’ils appartiennent ensemble à un ring, ou bien nous, le public, qui regardons cette mascarade simplement parce que c’est à la mode ?
Ainsi, pour nous protéger de cette spirale, il serait peut-être sage de sortir un animateur en forme d’aubergine, assez imposant pour dissimuler la modestie de Tyson tout en masquant le visage du producteur de télévision qui manipule la situation pour accroître sa propre renommée.