Ces derniers temps, je me suis replongé dans les souvenirs d’Herbert Morrison.
Vous ne connaissez peut-être pas Morrison, mais il est fort probable que vous ayez rencontré son travail, ou du moins un exemple marquant. Journaliste radio dans la première moitié du 20e siècle, à une époque où la radio, encore jeune, était le seul moyen de communication de masse consommée chez soi, il a mariné dans un environnement rempli de tensions. Le 6 mai 1937, lui et l’ingénieur Charlie Nehlsen ont été envoyés par la station WLS de Chicago pour couvrir l’arrivée du dirigeable Hindenburg à la station aéronavale de Lakehurst, dans le New Jersey.
C’était une période étrange : le fascisme menaçait l’Europe, la guerre était imminente, mais, aux États-Unis, la plupart des gens continuaient leur vie quotidienne en se préoccupant de choses comme le loyer ou les résultats des séries mondiales. (Petit indice : cette année-là, c’étaient les New York Yankees qui allaient l’emporter.)
Pourtant, rien ne symbolisait mieux l’absurdité de ces temps qu’un nazi flottant fièrement sur les empennages du dirigeable, à l’approche de sa fin.
Au début, l’événement ne semblait pas exceptionnel. Les enregistrements de Morrison relataient la préparation du dirigeable à attacher ses cordes au mât d’atterrissage. Puis survint le désastre.
« Ça s’enflamme ! » s’exclama Morrison. « Ça s’enflamme et ça tombe, ça s’écrase ! … C’est terrible ; c’est l’une des pires catastrophes au monde … Oh, l’humanité. »
Je partage cette anecdote pour éclairer ma démarche cette semaine, alors que je vais au Texas pour assister à un affrontement où un homme de 27 ans mettra un coup de poing à un homme de 58 ans, sous les acclamations de dizaines de milliers de personnes.
Le légendaire boxeur de 58 ans, probablement l’un des plus célèbres de notre époque, est reconnu pour sa férocité légendaire qui lui a permis de terrasser ses adversaires. Le jeune homme de 27 ans, Jake Paul, n’a pas encore la même notoriété dans le ring.
En tant qu’homme de 56 ans, je peux attester de l’impact du temps qui passe et de son intensification à mesure que l’on entre dans la cinquantaine. Bien que Paul ne puisse jamais égaler le succès et la renommée que Tyson avait atteints à son âge, il est indéniablement un boxeur plus talentueux qu’on ne le croit souvent.
Il n’est pas nécessairement un bon boxeur, cela dit, la définition de ce terme étant subjective. En tant que boxeur conventionnel suivant une carrière classique, il pourrait être comparé à un compétiteur de niveau ShoBox, capable de remporter des combats contre de nombreux adversaires, mais peu probable de rivaliser avec les champions du monde.
Cependant, Paul ne suit pas une carrière conventionnelle. Il a orchestré une série d’événements centrés autour de lui, chacun suscitant suffisamment d’intrigue pour inciter les gens à regarder.
Le combat Paul-Tyson, prévu au stade AT&T ce vendredi soir, est donc présenté comme un événement. En dehors de cette rencontre, la carte réserve une soirée de boxe solide, prouvant qu’il est possible d’attirer les foules sans être lié à des régimes tyranniques. Mario Barrios, qui affronte Abel Ramos, connaît une ascension de carrière après sa victoire contre Yordenis Ugas. Bruce “Shu Shu” Carrington, un espoir charismatique, souhaitera faire forte impression après un combat difficile. Et personne n’a besoin d’être convaincu de l’intérêt du combat revanche entre Katie Taylor et Amanda Serrano.
C’est une carte qui vaudrait la peine d’être couverte, même sans le grand événement. Mais ce combat central transforme l’ensemble en une extravagance qui attire l’attention médiatique.
Peut-on imaginer qu’un ancien champion du monde, approchant des 60 ans, puisse triompher face à un jeune homme de 27 ans ? C’est tout à fait possible. Cela dit, quelle que soit l’opinion que l’on a de ses capacités, Paul s’entraîne intensément et peaufine ses compétences depuis plusieurs années. Bien que ses adversaires n’aient pas toujours été de grande qualité, il est resté dans le rythme de l’entraînement et de la préparation.
L’intrigue réside dans l’idée de voir le Tyson d’antan, plutôt qu’un Tyson vieillissant, déclencher l’une de ses fameuses combinaisons au début du combat, portant à Paul des coups d’une puissance bien supérieure à ceux qu’il a jamais encaissés. Malheureusement, ce Tyson-là n’est plus apparu depuis, pourrait-on dire, 2000, année où il avait écrasé Julius Francis, Lou Savarese et Andrew Golota. Paul, lui, n’avait que trois ans à l’époque.
Cependant, les premières minutes devraient être empreintes d’une énergie palpable. Un coup bien placé de Tyson pourrait mettre un terme au combat de manière spectaculaire, un moment qui serait célébré par les membres de l’AARP à travers le pays. Il est également tout aussi probable que Tyson ressemble davantage au boxeur qui avait déjà échoué à s’imposer contre Danny Williams ou Kevin McBride, ce dernier ayant réussi à rester sur son tabouret à Washington, alors que des huées fusaient des gradins.
De nombreux avertissements avaient été diffusés avant le désastre du Hindenburg, illustrés par plusieurs accidents de dirigeables survenus les années précédentes, même si tous n’avaient pas été filmés ou commentés par Morrison. Si le pire devait se produire, et qu’un ancien grand champion soit humilié ou même blessé par un adversaire sensiblement plus jeune, nous ne pourrions pas dire que nous n’avions pas été prévenus, que ce soit par les problèmes de santé de Tyson conduisant à un report de la date ou par notre propre bon sens.
Le combat Tyson-Paul se veut une distraction gladiatoriale en ces temps d’incertitudes et de tensions. Il pourrait culminer en un triomphe pour la Génération X, ou s’achever en désastre.
Quoi qu’il en soit, cela fera du bruit. J’aime à penser qu’Herb Morrison aurait été présent.
Oh, l’humanité !