LAS VEGAS – Une matinée en compagnie de Gene Kilroy, l’ancien manager de Muhammad Ali, s’est révélée être un véritable voyage à travers l’histoire du boxe. À une vingtaine de minutes au sud du Strip de Las Vegas, nous nous installons dans un brunch pittoresque, où le personnel connaît bien Kilroy. À 84 ans, il est salué avec chaleur par les employés, qui lui proposent un coin calme pour déguster des œufs et un café.
Kilroy, un homme au sourire engageant, n’hésite pas à entamer la conversation avec d’autres clients, notamment des propriétaires de chiens, une de ses passions. “Il n’y a rien de pire que de perdre un chien”, lâche-t-il, témoin d’un lien indéfectible entre l’homme et l’animal. Il a eu plus de 30 boxers au cours de sa vie, et ces histoires d’amitié entre les humains et leurs compagnons canins illustrent une facette touchante de ce personnage emblématique.
Longtemps conseiller d’Ali, Kilroy a été son protecteur, témoin des tumultes et des gloires. Il évoque sans relâche les histoires des célébrités croisées au fil des ans, énumérant les noms comme Elvis Presley ou Frank Sinatra. Certaines anecdotes déclenchent des éclats de rire, d’autres des soupirs nostalgiques. On comprend vite que Kilroy n’était pas seulement un homme de l’ombre, mais un acteur principal dans le théâtre de la vie d’Ali.
“Je ne savais pas à quel point je devais voir ce jeune Cassius Clay aux Jeux Olympiques de 1960”, se souvient-il. À l’époque, un boxeur de l’armée, Allen Hudson, avait été défait par Clay, une rencontre qui a laissé une empreinte indélébile dans son esprit. Kilroy se remémore un épisode à Rome, où Ali, avec seulement 8 $ en poche, avait donné 3 $ à un mendiant. “Il testait ma foi”, souligne Kilroy, admiratif de la bonté d’Ali.
Kilroy décrit Ali comme une figure charismatique, un homme qui, malgré ses défauts, avait cet incroyable charisme. “S’il y avait un maire à élire au Village Olympique, ce serait lui,” affirme Kilroy. L’authenticité d’Ali, sa capacité à se connecter avec les autres, même les plus démunis, le rendait exceptionnel, mais aussi vulnérable face à ceux qui profitaient de sa générosité.
Lorsque Kilroy parle de ses rapports avec Ali, il évoque de nombreux souvenirs, des moments de camaraderie partagés lors de combats et de séjours, mais aussi des tensions. Ali, par moments affaibli par son désir de rendre service, ne mesurait pas toujours les conséquences de ses choix. “Il était un bon gars. Dès qu’un malheureux se présentait, le voilà là”, se rappelle Kilroy.
La relation entre Kilroy et Ali va bien au-delà d’une simple camaraderie, c’était un partenariat solide. “Aucun autre n’était plus proche de Muhammad Ali que Gene Kilroy”, insiste-t-il avec fierté. Ce lien a même été scellé par des moments poignants, comme lorsqu’il a été porteur de cercueil lors des funérailles des parents d’Ali.
Tout en s’immergeant dans les souvenirs d’Ali, Kilroy raconte des anecdotes qui portent un regard critique sur la complexité du boxeur. “Il avait l’impatience de son père, mais aussi la tendresse de sa mère.” Ces contradictions font d’Ali un personnage fascinant et humain. La passion d’Ali pour la boxe, sa détermination à être le meilleur, étaient souvent teintées d’un profond respect pour ceux qui l’entouraient.
Kilroy entretien aussi des réflexions sur la carrière d’Ali et les défis que ce dernier a dû surmonter, y compris la controverse liée à son refus de servir au Vietnam. Malgré le rejet dont il a été victime, Ali croyait fermement en sa cause. Kilroy se souvient d’un moment où Ali a exprimé que “les gens croyaient fermement qu’ils faisaient la bonne chose, tout comme moi”.
Kilroy, qui a été le témoin de moments cruciaux dans la vie d’Ali, partage les épreuves qu’ils ont vécues ensemble. Des histoires qui ont forgé leur amitié, mais aussi des choix difficiles. “J’ai supplié Ali de prendre sa retraite après Zaire. Mais 3 millions pour combattre Joe Bugner, c’était tentant”, se remémore Kilroy. Ce qui le frustrait le plus, c’était de voir Ali se faire avoir par des opportunistes.
La tendresse d’Ali envers les autres brillait à travers ses choix, mais elle l’a conduit à des déceptions. “Vous savez, ma vie a été un rêve”, conclut Kilroy, avec un mélange de nostalgie et de gratitude. L’héritage d’Ali perdure à travers les histoires qu’il a laissées, et Kilroy est le gardien de cette mémoire, un témoin privilégié du passage à l’Histoire d’une légende.
Alors que nous terminons notre conversation, une chose est claire : Ali même après sa mort, est toujours une source d’inspiration pour ceux qui l’ont connu. “La vie continue”, dit Kilroy. “Ali désirait toujours vivre. Et s’il devait faire le bilan devant Dieu, il était convaincu d’avoir plus de raisons d’être fier que d’être désolé.” La sagesse d’Ali résonne dans les paroles de celui qui a partagé sa vie et se souviendra toujours de lui comme d’un champion.